Question 5
Quel avenir pour le régime des Cultes en Alsace selon vous ?
Francis MESSNER
Le système des cultes reconnus, tel qu'il existe dans les trois départements et qui comprend un régime des cultes statutaires et un régime des cultes non-statutaires, a naturellement un avenir dans les trois départements de l'Est dans la mesure où il pourra évoluer et garantir une plus grande égalité entre les cultes statutaires et les cultes non statutaires. Et cela d’autant plus que le régime des cultes statutaires a été créé au début du 19eme siècle pour intégrer les cultes dans la société. Et actuellement le culte qui a besoin d'un soutien pour l'intégration, notamment le culte musulman qui ne bénéficie pas des mêmes systèmes, des mêmes mécanismes de soutien et donc, par voie de conséquence, on est là devant un paradoxe.
Valentine ZUBER
Alors ce genre de questions c’est toujours un challenge pour les historiens et l’historienne que je suis, parce que moi j’étudie le passé et je ne prédis pas l'avenir. Mais néanmoins, on peut dire quelques points pour imaginer ce que pourrait être l'avenir du régime concordataire.
Il y a en France, France de l’intérieur tout particulièrement mais aussi en Alsace-Moselle, des gens qui plaident pour l'alignement du régime concordataire sur le régime de séparation des Églises et de l'État comme dans la France de l'intérieur. Mais ils restent assez minoritaires et il y a une sorte de consensus pour la conservation de ce régime concordataire ; en tout cas, c'est ce que la majorité des Alsaciens-Mosellans souhaitent encore, comme on le voit à travers les sondages. Alors, je le rappelle, c'est un régime très ancien et qui ne concerne que quelques religions parmi toutes celles possibles et existantes dans notre pays ; puisque le régime concordataire reconnait et subventionne l’Eglise catholique, les Eglises réformée et luthérienne qui se sont maintenant rapprochées donc l’Eglise protestante et puis le Culte israélite c'est-à-dire les Juifs. Or, vous n’êtes pas sans ignorer qu’il y a d’autres religions maintenant présentes sur le territoire alsaco-mosellan et en particulier il y a une grande population de culture ou de religion musulmane. Donc le régime concordataire qui était à ses origines très pluraliste et égalitaire entre les différentes religions quelle que soit leur taille est maintenant inégalitaire parce qu’il ne prend pas en compte d'autres religions qui auraient toute légitimité à être inclues dans ce régime concordataire.
Donc, il me semble qu’une évolution positive de ce régime serait d’étendre les privilèges, les droits et les devoirs des religions déjà reconnues aux autres religions qui ont une importance sociale dans l'espace de l'Alsace et de la Moselle.
Pierre KRETZ
Je pense que là on est dans une interrogation très institutionnelle, qui s'inscrit dans le débat général des institutions de notre pays qui sont régulièrement remises en question - les dernières interventions, ce qu’on lit entre les lignes, les dernières interventions du Président de la République vont d’ailleurs dans ce sens : changer les institutions au niveau le plus élevé de la Constitution mais aussi au niveau des Collectivités territoriales où on sent très bien qu’il y a un certain nombre de choses qui ont été mises en place ces dernières années qui ne collent pas, qui ne correspondent pas à une efficacité de l'administration, qui ne correspondent pas à des attentes de la population et je pense que, cette question de l’avenir du Concordat, il faut l’inscrire dans ce débat général sur les institutions dans notre pays avec cette précision que nous sommes dans un pays de verticalité où les choses se décident toujours d’en haut . Nous sommes ici en pays rhénan ; nous voyons bien que chez nos voisins allemands et suisses ça ne se passe pas comme ça. Donc la question de l'avenir du Concordat c'est plutôt de savoir comment va se décider cet avenir du Concordat. Est-ce qu'une fois encore c'est Paris qui va décider de ce qui va se passer ou alors est-ce que, à l'instar de ce qui se passe dans les pays fédéraux qui sont nos voisins immédiats - on est à 5 minutes de l’Allemagne, à une heure et demi de Bâle - est-ce que c'est cette philosophie du rapport aux institutions qui va primer où est-ce que c'est la philosophie française où tout se décide d’en haut dans une verticalité, que j'ai envie de qualifier de catholique où tout vient d’en haut ? Ou est-ce que ça va être plus d'inspiration protestante où les choses se passent, quoi qu'on en dise un peu dans des lieux communs mais c'est quand même assez juste je pense, où les choses se passent de manière plus horizontale. Je trouve que la réponse à la question pose d'autres questions mais qui vont un peu dans ce sens.
Sylvie LE GRAND
J’avoue avoir du mal à répondre à cette question, je me considère comme peu qualifiée pour y répondre, du moins pour ce qui concerne l’Alsace-Moselle. Du coup, j’essaye d'introduire plusieurs éléments de réflexion. De manière générale, au vu de l'évolution des statistiques d'appartenance religieuse ou des pratiques religieuses en très fortes baisses, mais aussi au vu de la profonde crise et des profonds bouleversements que connaît actuellement l'Église catholique, on peut sérieusement s'interroger sur la pertinence de ce régime entendu au sens strict et on peut s'interroger sur la nécessité d'une mise à plat extrêmement large et qui n’est pas seulement juridique des formes d'existence et de présence catholique ou chrétienne en général dans la société. Donc ça, ça serait déjà un premier élément de réponse mais qui n’est pas une réponse claire.
Cependant j'ai quand même l'impression que cette question concernant la France et l'Alsace-Moselle est un sujet récurrent, dans l’histoire, depuis les origines on va dire. Elle signale notamment tout le poids symbolique, tant positif que négatif, attaché à la notion de concordat. Je pense que parfois on s'attaque au Concordat en tant que symbole alors que la réalité est moins conflictuelle par exemple. En tout cas en Allemagne, on voit qu’il y a aussi cette façon de considérer le Concordat comme un chiffon rouge, un repoussoir en tout cas, dans certains cercles de libre-penseurs par exemple. Donc on voit qu’il peut y avoir cette dimension tout à fait symbolique, négative en l’espèce, du Concordat. Donc voilà c'est aussi un élément à prendre en compte pour répondre.
Autre élément de réponse : je pense plus largement que nous vivons en France, en Europe, une période de profonds bouleversements tant en ce qui concerne la compréhension de ce qu'est une religion ou la connaissance des religions qu’on fait, que ce qui concerne la compréhension de ce qu'est la laïcité aussi. Cela me frappe depuis les dernières années, tout ça est très flou, de plus en plus flou, dans le discours médiatique ou social, et nécessiterait justement une mise à plat. Je pense que ces questions méritent des discussions apaisées ; le détour par la culture, l’histoire qui sont riches et complexes et qu’il faut vraiment appréhender dans toute leur complexité au-delà des clichés.
Lucien JEAUME
Sur l'avenir du régime concordataire, je ne peux pas me prononcer sur ce point, vraiment pas. Je ne sais pas. Je peux émettre un souhait : je souhaite pour ma part que l'effort d'intégration de l’Islam - et en France c’est l'Islam sunnite, ce n'est pas l'Islam chiite de l’Iran, des autres pays chiites - que l’effort d’intégration de l’Islam se poursuive et que les régions concordataires notamment continuent cet effort auquel elles ont participé en formant des imams, en instruisant des imams et je souhaite donc que nous progressions dans l'intégration de l'Islam.